Le témoignage de l'Église aujourd'hui - Novembre 2010

Voici le texte de présentation du congrès :

Compte-rendu de Daniel Struve

Le Congrès annuel de l’ACER-MJO s’est déroulé les samedi 6 et dimanche 7 novembre à Loisy, rassemblant environ soixante-dix congressistes de tous âges.
Le thème retenu cette année était le « Témoignage de l’Église aujourd'hui» en hommage au grand poète et théologien Alexis Stepanovitch Khomiakov (13 mai 1804 - 23 septembre 1860) à l’occasion du 150e anniversaire de sa mort.


La première conférence a été donnée samedi matin par l’higoumène Pierre Mechtchérinov, supérieur d’une dépendance du monastère Saint Daniel de Moscou à Dalmatovo. Le père Pierre, animateur du Centre patriarcal pour l’éducation de l’enfance et de la jeunesse auprès du monastère saint Daniel, est actuellement une des figures les plus marquantes de l’Église orthodoxe de Russie. Il est connu pour ses prises de position courageuses au sujet de la situation actuelle de la Russie et de son église. Dans ses conférences et ses interventions dans les média, il prône un recentrement de l’Église sur la mission intérieure et le retour à la tradition chrétienne, qui passe selon lui par une prise de conscience de l’histoire récente de la Russie ainsi que par le rejet de la tentation nationaliste et des idéologies qui empoisonnent actuellement la vie de l’Église.


Dans son exposé, le père Pierre a mis en garde contre les implications de certaines déclarations polémiques de Khomiakov à propos des confessions hétérodoxes. Il y a, a-t-il souligné, un danger dans la réduction de la vie chrétienne au seul domaine de la « foi droite » et de la dogmatique. L’Église, plus qu’une doctrine, est la vie en Christ, et à ce titre elle relève davantage d’une expérience quotidienne et concrète que de la seule réflexion abstraite, ou, pour parler comme Léon Chestov, de Jérusalem plus que d’Athènes. La vie en Christ et la foi dépassent les frontières confessionnelles. Pour illustrer son propos le père Pierre a évoqué la figure du théologien luthérien Johann Arndt (1555-1621), auteur d’un ouvrage intitulé « Du Véritable Christianisme » (1609), où l’accent est mis sur la vie spirituelle et éthique du chrétien. Le père Pierre a rappelé le succès rencontré par cet ouvrage jusqu’en Russie et l’influence qu’il a exercée sur la pensée de saint Tikhon de Zadonsk (1724-1283), auteur d’un ouvrage de même titre.


Après s’être séparés pour travailler en groupes l’après-midi, les congressistes se sont réunis en début de soirée pour écouter deux autres exposés.

Nikita Struve, reprenant le contenu d’une étude qu’il a déjà consacrée à Alexis Khomiakov, a évoqué cette personnalité étonnante qui a su allier d’innombrables talents (Khomiakov a été soldat, ingénieur et inventeur, médecin, chasseur, agronome, historien, peintre, poète, mais aussi propriétaire terrien, époux modèle, homme du monde…) menant parallèlement à ses activités une authentique vie de prière. L’existence même d’un tel personnage tient du miracle et n’a d’équivalent que dans la figure du père Paul Florenski (1882-1937), savant universel, théologien et, finalement, martyr de la foi, dont la figure cependant n’atteint pas à l’harmonie qui caractérise la personnalité de Khomiakov. Chrétien exemplaire au milieu d’une société voltairienne et dissolue, Khomiakov a mené une existence de juste, couronnée par une disparition prématurée alors qu’il se vouait au service des victimes d’une épidémie de choléra. La multiplicité de ses dons n’a pas étouffé en Khomiakov le théologien et c’est dans ce domaine que sa contribution reste la plus importante. Poète chrétien et prophète, Khomiakov a ouvert une nouvelle page dans l’histoire de la théologie chrétienne et a mis fin à la « captivité occidentale » de la pensée orthodoxe en reformulant dans une langue limpide et moderne (souvent d’ailleurs en français ou en anglais) la grande tradition patristique. Lui revient en particulier le mérite d’avoir mis le thème de l’Église en centre de la réflexion théologique, donnant naissance au grand courant de la théologie russe qui sera notamment illustré par Vladimir Soloviev, Serge Boulgakov, Nicolas Afanassiev et Alexandre Schmemann. Khomiakov est aussi le précurseur et l’initiateur du dialogue œcuménique, notamment dans sa correspondance avec l’anglican William Palmer : avec lui l’orthodoxie trouve une voix qui lui permet de parler d’égale à égale avec la théologie occidentale.


Prenant à son tour la parole, le père Christophe d’Aloisio a complété le propos de Nikita Struve en évoquant la doctrine de l’Église telle qu’elle s’est affirmée dans le sillage de l’œuvre pionnière de Khomiakov. Relevant l’obscurcissement du visage de l’Église qui a pu se produire à certaines époques de son histoire, le père Christophe a souligné l’importance de l’expérience de l’exil et de l’émigration au 20e siècle. Pour la première fois depuis l’époque de Constantin les orthodoxes ont fait l’expérience d’une liberté complète par rapport à tout État ou ambassade. Ainsi, si en Occident la sécularisation a surtout représenté pour l’État l’affranchissement de la tutelle souvent pesante de l’Église, l’émigration russe a fait au contraire l’expérience de l’affranchissement de l’Orthodoxie de la tutelle de l’État. Le visage authentique de l’Église a pu briller dans tout son éclat au milieu de la pauvreté et du dénuement. Pour tenter de donner une idée de ce qu’est l’expérience authentique de l’Église, le père Christophe a rappelé deux passages de l’Écriture, l’un au début et l’autre à la fin de l’Évangile selon Saint Jean (mais, a-t-il précisé, de nombreux autres passages de l’Écriture auraient pu être utilisés) : Jean 1, 12 (« à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu ») et Jean 20, 21-22 (Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie. Après ces paroles, il souffla sur eux, et leur dit : Recevez le Saint Esprit). Ces deux extraits se répondent comme une annonce et son accomplissement. Ainsi les Chrétiens deviennent après la Croix et la Résurrection les « enfants de Dieu » à l’image du Fils du Dieu, « envoyés » dans le monde comme Lui aussi a été envoyé, afin d’assurer la présence continue du Christ en ce monde. L’Église corps du Christ, nourrie de l’Eucharistie, n’est autre que cette présence du Christ ressuscité. Tel est le sens de l’Église retrouvé avec une acuité nouvelle par les théologiens du 20e siècle.


Dimanche matin après la liturgie célébrée dans la chapelle du centre diocésain de Loisy, le père Pierre Mechtchérinov a évoqué le travail du Centre pour l’éducation de l’enfance et la jeunesse auprès du monastère Saint Daniel. Il a commencé par évoquer les conditions générales dans lesquelles s’exerce le travail catéchétique en Russie : perte complète des repères religieux, mais aussi culturels, normes éthiques très éloignées de celles du christianisme, persistance de la mentalité soviétique. De nombreux problèmes se posent au catéchète, qui doit aller contre les représentations dominantes de la société. Le père Pierre a distingué trois catégories auxquelles se rattachent la plupart des jeunes qui viennent dans son centre : ceux qui témoignent d’une attachement très fort aux manifestations extérieures du christianisme (rites, prescriptions alimentaires, code vestimentaire etc.), ceux qui voient avant tout dans le christianisme un élément de leur identité nationale, ceux enfin qui tout en se considérant orthodoxes et en voulant participer pleinement à la vie liturgique se montrent indifférents aux exigences morales du christianisme. Ce sont peut-être ceux-là qui posent du point de vue pastoral le problème le plus ardu. Le catéchète se heurte aussi à l’absence de toute conception unifiée de la catéchèse dans l’Église de Russie (des projets sont cependant en cours) et doit donc élaborer lui-même les principes qui le guident. Le père Pierre a précisé qu’il avait pour sa part recours à l’œuvre de Théophane le Reclus (1815-1894), chez qui on peut trouver une présentation d’ensemble systématique de l’enseignement dogmatique et spirituel de l’Église. Après ces considérations préliminaires, le père Pierre a décrit les activités très variées de son Centre, qui vont des cours pour les jeunes catéchètes aux activités de club ou aux camps de vacances. L’un des objectifs du Centre, a-t-il précisé, en même temps que de fournir les bases de la doctrine et de l’étique chrétiennes, consiste à créer un milieu chrétien dans laquelle la vie chrétienne des jeunes pourra s’épanouir.
Le Congrès de Loisy aura été l’occasion de réfléchir sur les différents défis qui attendent l’Église en ce début du 21e siècle et de confronter les difficultés rencontrées par l’orthodoxie très minoritaire des communautés issues dans une large mesure de l’émigration avec celles de l’Église en train de se reconstituer après un siècle de persécutions en Russie.

ACER-MJO - 91 rue Olivier de Serres, 75015 Paris. +33 1 42 50 53 66. Secrétariat ouvert le mardi de 12h à 19h.