Je pratique le théâtre depuis près de dix ans, à titre professionnel, en tant que metteur en scène, comédien et enseignant. J'avais en ce camp 2015 la responsabilité de professeur de théâtre. Il s'agit d'un poste pratiquement inédit, alors même qu'au cœur du programme, le théâtre tient une place dominante : chaque quinzaine se clôt par une présentation très souvent théâtrale de chaque groupe en un grand spectacle, Koctëp (« feu de camp ») ou « Soirée Poésie ».

A la demande et avec le soutien de leur rouko, Xénia Sergueievna Tchekan, j'ai pris en charge le spectacle des vasmoï (8e groupe, filles de 8-9ans) pour le spectacle de la soirée poésie. Le travail avec ces quatre petites filles - Marguerite Kadar, Inès Bogdan, Emilie Bogdan et Sofia Sielwiesuk - a été pour moi un des moments forts du camp, et j'ose le dire, de ma carrière théâtrale. Nous avons mis en scène ensemble – j'insiste sur le terme – notre adaptation d'un conte magistral d'Oscar Wilde : Le Géant Egoïste. Je jouerai le rôle du géant et les enfants tous les autres rôles ; la narration serait distribuée entre nous cinq.

Il est étonnant de voir à quel point l'histoire du géant et des petits enfants semblait refléter notre rencontre – entre moi, les enfants, le théâtre.

J'ai rencontré ces quatre petites filles, que je ne connaissais pour ainsi dire pas du tout : voilà plusieurs années que je ne m'occupais que des grands groupes. J'étais un grand qui s'occupait des grands.
A mesure de nos séances de travail quotidiennes, une sorte de confiance s'est installée, et avec elle un climat de travail qu'on ne trouve que très rarement, même (surtout?) avec des comédiens professionnels. J'avais écrit au préalable une adaptation de la pièce : il a suffit d'une séance pour que je la mette de côté et que je prenne le texte, soumettant chaque passage au groupe pour que nous trouvions ensemble les voies de l'adaptation. Les idées fusaient et prenaient leur forme définitive presque instantanément. Elles venaient autant de moi que des petites filles, elles venaient du groupe.

La créativité et l'énergie, soit, mais qui aurait pu attendre d'elles une telle rigueur tant dans l'apprentissage du texte que dans la concentration et l'autonomie ? A notre répétition générale, quelques heures avant le spectacle, je suis arrivé en courant – je m'occupais également du spectacle d'un autre groupe – et quelque peu déboussolé : je m'empêtre dans mon texte, je rate mon entrée. A mon grand étonnement, je me suis vu sermonné par les quatre petites filles qui d'une seule voix me disaient « concentre-toi ! », « t'es pas dedans ! », « Allez quoi ! », autant de phrases que j'avais pu leur répéter tout au long du travail.

La représentation, comme souvent, est passée en un éclair, mais j'avais sur scène l'impression d'être avec quatre actrices professionnelles, tant autonomes qu'inventives dans le moment présent. Mais tout de même, quatre enfants qui réalisent à cet instant climax de la pièce l'importance symbolique de leurs gestes. Après les applaudissements – assez impressionnants sur le moment –, je suis sorti de scène et suis resté assis quelques minutes dehors pour mesurer à quel point les véritables moments de théâtre ne sont pas à chercher dans les vaines glorioles et les récompenses mondaines, mais bien dans des instants comme ceux-là, sous le signe de la transmission, du partage, de la communauté.

La vidéo est de mauvaise qualité. Elle provient, je crois, d'un téléphone. Il faut tendre l'oreille pour entendre. Je pense pour autant qu'on peut ici la poster sans crainte, avec l'espoir qu'on discerne derrière les imperfections techniques une des raisons pour lesquelles nous sommes tant à continuer années après années à venir travailler à la Servagère.

J'ajouterais aussi, avec un clin d 'œil pour ceux d'entre nous qui travaillent dans le théâtre, que les raisons d'une vocation ne sont jamais à chercher bien loin des retombées d'une pièce de koctëp bien réussie, bien préparée, inspirée et inspirante.
Grégoire Lopoukhine.

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