La lecture des nouvelles du camp 2015 (à lire ici) a inspiré Hélène Klépinine-Arjakovsky. Elle a décidé d'écrire ses souvenirs du camp. Vous trouverez, en prime, quelques photos du camp de cette époque. 

Que tous ceux qui sont passés par le camp de l'acer-mjo n'hésitent pas à écrire leurs souvenirs personnels. Nous pourrions les publier sur notre site. 

Texte à lire ci-dessous ou ici : http://www.acer-mjo.org/files/ressources/St Théoffrey.pdf  

Camp de l'ACER 1949

Mon premier camp remonte à 1946, j’avais huit ans et notre groupe était logé dans le grenier de la ferme des vieux Poncet à la Cure. Nous étions « les petites filles » ou, comme nous appelait père Alexis Kniazev – « tcherdatchnitzy » (Du russe « tcherdak », le grenier). J’avais huit ans et mes compagnes étaient Nina Volokhov, Elisabeth Shakhovskoj, Nina Youssov et d’autres fillettes dont je n’ai pas retenu le nom. Le chef du camp était Viguen Nercessian et pour les filles – Irina Alexandrovitch. Nos « roukos » (Du russe « roukovoditel’ » moniteur) étaient Marianne Tikhonitsky et Madame Valentine Zander. L’inconvénient d’être logé à la Cure était l’éloignement du camp ; le soir, il fallait du courage pour regagner notre grenier en passant devant la ferme des Poncet où le chien aboyait. Il arrivait que nous restions seules pendant la sieste. Un jour éclata un gros orage et nous étions très impressionnées. L’une des filles déclara que pour ne pas être foudroyé, il fallait se tenir à quelque chose de métallique ! Je me revois les deux mains crispées sur le montant de mon lit !

La vie en groupe était nouvelle pour moi et j’ai dû apprendre à partager. Un soir, alors que nous étions déjà couchées, est arrivée une nouvelle dont la valise avait été égarée. Notre monitrice a ramassé parmi nous quelques affaires. « Ladik (Ladik est mon surnom), je vois que tu as deux oreillers, donne en un, s’il te plaît ! » Mais rien à faire ! Je ne voulais pas partager ! Pendant longtemps les filles m’ont appelée « podouchka » (Du russe, oreiller), la leçon a été cuisante !

Cette cure jouxtait la fameuse chapelle en ruine dédiée à saint Théoffrey. Un jour, les garçons du groupe des grands ont fouillé la terre du cimetière autour de la chapelle dans l’espoir d’y retrouver un crâne. Cette tentative a provoqué un grand scandale et père Alexis est venu célébrer une panikhide pour « apaiser les âmes des défunts ». Les petites filles que nous étions furent paniquées de devoir voisiner avec des âmes, donc des fantômes et nos nuits furent agitées.

Je revins l’année suivante à St Théo et cette fois, notre rouko fut Lioka, la future matouchka Dounaieva. Nous nous lavions à la fontaine des Poncet, là où les vaches venaient s’abreuver. Souvent nos serviettes tombaient à l’eau ou bien atterrissaient sur le tas de fumier. Pour la grande toilette, nous allions au lac.

Puis, maman m’inscrivit en 1948 au camp des scouts russes à Ronces les Bains où je découvris l’océan, ce fut une belle émotion. J’appris aussi des techniques scoutes comme faire des nœuds, allumer un feu, communiquer en alphabet Morse. J’étais fière de recevoir de nouveaux insignes sur la manche de mon uniforme. L’été suivant, je partis à Bonatrais, près d’Evian au camp Sokol, où l’accent était mis sur les performances sportives.

Puis en 1950, je revins à Saint Théoffrey. Le premier jour au camp était un peu difficile : il fallait bourrer sa paillasse de paille, c’était tout un art, le réussir vous assurait de bonnes nuits. Cette fois-ci j’étais dans le groupe des moyennes (4è) et ma rouko était Sonia Bourda (Sonia épouse de Cyrille Eltchaninoff) que j’ai beaucoup appréciée. Elle ne se ménageait pas pour son groupe et il fallait la supplier pour qu’elle prenne un jour de congé. Ce furent de formidables souvenirs : Les feux de camp du dimanche soir où nous préparions toujours un petit spectacle, des charades, des devinettes. Quand nous avions besoin de précisions pour les costumes, nous allions voir le professeur Vladimir Iljine qui logeait au-dessus de l’économat et il nous décrivait la forme d’un casque grec ou romain. La dernière prière autour des braises rougissantes, nous tous à genoux, la couverture sur nos épaules à chanter « Pod tvojou milost’ », inoubliable !

Ce furent aussi les premières randonnées en montagne, la découverte de la flore des Alpes, Sonia nous a fait réaliser un herbier. Les ballades à la « Pierre percée » et la cueillette des myrtilles. Je me revois à quatre pattes dans les buissons, mon quart ne se remplissait pas vite, la moitié des myrtilles allait directement en bouche, nous avions toutes les lèvres bleues ! Puis nous faisions un feu et nous cuisions notre confiture en la remuant avec une branche.

Mes camarades étaient Paulette Koréniouguine, Giselle( ?) et Olga Terentiev qu’on appelait les Trois Grâces. Il y avait aussi Olga Kelberina, Liouda Ovtracht, Liza Mouraviova. Le chef du camp était Cyrille Eltchaninoff et pour les filles Vava Maëvskaja. Parmi le personnel, il y avait Jean Morozov, Vladimir Konstantinovitch, un ancien officier de l’Armée Blanche qui aimait raconter en fermant les yeux des épisodes de son épopée. Nous aimions aussi Youri Démidov qui veillait au maintien du matériel, il faisait un peu la police, les petits redoutaient sa grosse voix. Il prenait part aux repas des roukos et nous racontait des épisodes de la vie en Russie, des scènes de chasse.

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Il y avait deux traditions qui ont été supprimées par la suite, mais qui avaient un charme particulier : les rondes de nuit et les alertes. Deux par deux, munie d’une lampe de poche, la « garde » parcourait le camp et veillait à ce que tout le monde dorme, après quoi, réveillait deux autres camarades qui assuraient la garde jusqu’à minuit. L’un des attraits de cette ronde était de surprendre les roukos en goguette qui cherchaient à s’isoler derrière la colline ! L’autre moment fort était la « trevoga », l’alerte. Elle consistait à sonner l’alarme à l’aide de coups de sifflet (brève-longue) et du clairon (un air particulièrement alarmant) afin de rassembler le camp le plus vite possible pour quelque événement. Cela pouvait être un grand jeu ou l’arrivée au camp d’une personnalité. Se faire réveiller par ces coups de sifflet et ce clairon vous donnait la chair de poule !

Nous devions laver nous mêmes notre vaisselle, c’était le rôle du « dejournyj » La vaisselle en étain où nous gravions nos noms était entreposée dans les coffres près des tables et celui qui était de corvée allait chercher à la cuisine un baquet d’eau chaude et du produit et remettait la vaisselle propre dans les coffres. Un jour que j’étais de corvée, je me suis laissée entrainer dans quelque jeu et ne suis souvenue de ma vaisselle qu’à la nuit tombante. Mais ma rouko Sonia l’avait lavée à ma place !

Un jour que Sonia avait fini par accepter de prendre un jour de congé, nous avons décidé de lui faire une surprise. Nous avons construit autour du mât de notre tente pyramidale un petit autel en bois et nous y avons accroché nos icônes.

L’église était dans une grande tente grise de l’armée allemande, la monter demandait un bel effort ! Je me souviens de l’atmosphère particulière autour de la dernière fête du camp : la Dormition célébrée à l’époque le 28 août. Tous les membres du camp se confessait. La parade aussi était un moment fort : nous défilions dans nos uniformes remis à neuf et saluions notre étendard. Puis venait le moment des promotions, devenir « droujinnik » était un honneur et comme nous enviions celui et celle qui était récompensé par le « loutchyj » !

Vers midi, nous attendions le facteur, on entendait de loin le vrombissement de sa moto remontant depuis Petichet. Recevoir une lettre ou un colis était une telle joie !

Puis je suis passée dans le « vtoroj » où ma « rouko » fut Natacha Rodzévitch. Je me souviens qu’un jour nous sommes arrivées déguisées au repas de midi où nous avions au préalable préparé une belle table avec nappe et fleurs. Ce fut une belle surprise !

A l’époque, l’ACER essayait de maintenir la langue russe. Nous étions tenus de parler russe et nous recevions de mauvais points si nous parlions français. La « punition » consistait à réciter de la poésie devant sa tablée. Le champion de cette performance était Dima Shakhovskoj qui était capable de retenir des poèmes entiers !

Je ne fis pas un été complet dans le « vtoroj », car on me désigna aide-rouko pour le groupe des petits garçons dont la rouko était Léna Disterlo. J’avais 16 ans et je commençai alors ma carrière de rouko.

Un jour, nous partîmes en excursion à N-D des Vaux, une montagne facile juste derrière le camp. A la pause de midi, nous sommes restées avec Léna un peu en retrait du groupe lorsque nous entendîmes un bruit sourd suivi d’une explosion de rires. Nous revînmes en courant vers nos garçons : ces chenapans avaient réussi à ébranler un gros rocher qui dévala la pente et se ficha en aplomb de la route. Nous les grondâmes en leur expliquant qu’on ne lance pas des pierres en montagne et que ce rocher aurait pu tuer quelqu’un. Le lendemain, c’était le jour où on écrivait aux parents. L’un d’eux avait écrit : « chers parents, hier on a été en excursion, on a bien rigolé et on a failli tuer quelqu’un ! »

Etre rouko me plaisait beaucoup et pendant environ sept ans je fus responsable du 7 ème, puis du 4 ème groupe. Dans mon groupe de garçons, il y eut Serge Morozov, Serge Kniazev, Bizou Arabey, Vania Gueit, Peka Sollogoub. Dans mon groupe de filles : Marina Koubé, Marina Voronina, Galia Chouvalova, Ania Vorontsova, Lena Sinany, Tania Pruzan et beaucoup d’autres.

Une année, il fut décidé de donner un nom à chaque groupe. Nous choisîmes « Tchajka »(la mouette) et brodâmes ce nom sur notre fanion. Les roukos devaient préparer leur camp et présenter un thème. Une année, nous avons monté une station météo avec pluviomètre, relever des températures. Devant notre tente, le père d’Hélène Sinany nous a aidé à construire une horloge solaire. Au drapeau du soir, nous annoncions le temps pour demain mais comme nous nous trompions toujours, nous devînmes la risée du camp !

Nous faisions des stages de moniteurs à l’Union Française des colonies de vacances qui nous inspiraient de nouveaux jeux : les vingt-quatre heures du Mans, par exemple. Ce stage m’a appris des choses intéressantes sur la psychologie enfantine, cela nous donna aussi quelque expérience dans le domaine de la sécurité.

Parmi les événements marquants de ces années 50, il y eut le spectacle monté par Vladimir Soubotine : La Nuit de Mai d’après Gogol. Toute l’esplanade centrale du camp devint une scène, un village ukrainien fut construit, les phares des voitures devinrent des projecteurs, des feux de Bengale furent diffusés pendant la scène de l’étang des noyées. Tout le camp prit part à ce spectacle grandiose qui fut repris à Paris sur la scène du théâtre d’Issy-les-Moulineaux.

En été 1962, un autre spectacle mobilisa beaucoup d’acteurs : « Eugène Onéguine » de Pouchkine. Nous dénichâmes dans le grenier des Poncet un vieux rouet et des tissus de soie et dressâmes le décor d’une gentilhommière russe du XVIIIè siècle. Nadia Vorontsova fut une Tatiana remarquable face à Serge Rehbinder en Eugène. Sonia Lopoukhina fut la Niania. Micha Sollogoub et Serge Kniazev les lecteurs. La musique de Tchaikovsky accompagna le bal chez Tatiana.

Nous connûmes aussi une expérience affreuse, celle de la mort de Micha Krajevitch. Micha était aimé de tous, il a fait une mauvaise chute le long d’un torrent et est mort à l’hôpital d’une fracture du rocher. Ce fut pour beaucoup d’entre nous une première expérience de la mort. Nous l’avons veillé, nous avons beaucoup prié, nous nous sentions responsables de sa mort, car la veille de l’accident, nous nous étions vantés devant lui de nos exploits en haute montagne et lui ne pouvait y participer, car il avait un souffle au cœur . A-t-il voulu prouver son courage en montant le long de ce torrent ? Ce fut un été noir.

Le camp, c’était aussi les amitiés que nous y forgeâmes : nous étions tous d’origine russe et orthodoxes, cela nous rapprochait. A part le groupe de Nice et celui de Biarritz, nous venions de Paris et allions nous retrouver après la fin du camp. Des amitiés solides sont nées au camp, des couples se sont formés qui aujourd’hui envoient leurs enfants et petits-enfants à la Servagère. L’aventure continue !

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